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Cannes 2012, la palme dÂ’or, les festivaliers moins
Le train me ramène vers Paris*, dehors il fait nuit, la vitre me renvoie le reflet de mon visage fatigué mais heureux et je me souviens… Des images plein la tête d’un Festival de Cannes qui fête sa 65eme édition et que j’ai à nouveau pu vivre de l’intérieur, pour la 3eme année consécutive – déjà !
Contrairement aux éditions précédentes, je n’ai pas tenu de chroniques quotidiennes, m’attachant à écrire les critiques des films en compétition officielle – j’ai tenu le rythme jusqu’en milieu de 2eme semaine ! Pourquoi ce choix ? Car je devais voir les 22 films en course pour la Palme d’Or pour deux raisons « professionnelles » : je notais les films pour le Palmomètre du journal Métro (et c’est une sensation assez étrange que de voir sa bobine imprimée tous les matins dans un canard gratuit) et je faisais partie du jury « Coup de cœur BO » qui remettait un prix à une musique originale (récompense qui est finalement revenue à « Vous n’avez encore rien vu » d’Alain Resnais lors d’une soirée à la Villa Schweppes). Mais il se passe tellement de choses à Cannes en marge des projections de films que je savais que tôt ou tard, j’aurais envie d’écrire sur les dessous du Festival, partager mes souvenirs et mes impressions d’une Quinzaine définitivement pas comme les autres…
Arrivé dès la veille de l’ouverture et reparti le lendemain de la clôture, je pouvais difficilement rester plus longtemps à Cannes. Accrédité « presse jaune » (il y a une véritable hiérarchie dans les badges presse, ma couleur me situant au bas de l’échelle journalistique mais qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse ! Petite anecdote au passage : tous les soirs à 19h30 à Debussy, une projection d’un film en compétition est réservée à la presse. Si les badges jaunes sont rentrés sans problème les premiers jours, c’est devenu une autre paire de manches à partir du 1er WE, cette séance se transformant en « jour sans fin » pour nous, le fail se répétant jour après jour qu’il pleuve ou qu’il vente), je m’étais fixé l’objectif ambitieux mais tenable de voir entre 35 et 40 films. Seule contrainte pour tenir ce chiffre : aller à toutes les projections de 8h30 le matin. Défi presque tenu à 100% puisqu’il n’y a qu’Amour, la future palme d’or, que je n’ai pas vu de bon matin et que j’ai pu apprécier à sa juste valeur à une projection de l’après-midi. Résultat des courses : 39 films vus, objectif largement atteint donc ! Pour cela, il a évidemment fallu sacrifier mon sommeil car, comme l’an dernier, je décidais de profiter de la vie nocturne cannoise. Mes nuits festives furent donc aussi belles que mes jours studieux, ne fermant les yeux que 3 à 4 heures par nuit (plus, j’avoue, quelques micro siestes de ci de là pendant certains films n’arrivant pas à capter suffisamment mon attention pour m’empêcher de piquer du nez) pour recharger tant bien que mal les batteries.
Autre constat à Cannes : les festivaliers n’ont pas plus le temps de dormir que de manger ! Je ne me suis pas nourri par plaisir mais pour ne pas tomber d’inanition, environ une fois toutes les 24 heures, carburant le reste du temps au café, une célèbre marque étant partenaire du Festival et abreuvant généreusement ceux dont les cernes se creusaient au même rythme que le bronzage (non pas par manque de sérieux mais à cause du temps passé à faire la queue) – séances de solarium mises à mal plus souvent qu’à l’accoutumée à cause d’une météo des plus capricieuses et pluvieuses (le DJ officiant lors des montées des marches avait de l’humour, n’hésitant pas à passer « Umbrella » de Rihanna lors d’une montée particulièrement arrosée).
Cannes, ça a aussi été de nombreuses rencontres. La plus improbable ? Mes retrouvailles avec un pote de collège pas vu depuis … 15 ans. J’avais retrouvé sa trace récemment par hasard, constatant qu’il avait suivi plus ou moins le même parcours que moi et qu’il courait la pige critique. Nous nous étions manqué à une projo à Paris et nous ne savions ni l’un ni l’autre que nous serions à Cannes. Le mercredi, première file d’attente pour Moonrise Kingdom, badges jaunes, je patiente patiemment quand je l’aperçois deux mètres devant moi pas changé malgré le poids des années. La probabilité était faible et pourtant ! Amitié renouée, dialogue repris comme si nous ne nous étions pas vus depuis la veille. Revu un autre ami du collège moins perdu de vue et surtout prévenu de sa visite à Cannes via Facebook et croisé un pote de prépa devenu depuis scénariste. It’s a small world after all !
Mais Cannes, ce n’est pas un mystère, ce n’est pas que du cinéma. Ou plutôt si, ça n’est que du cinéma mais il n’est pas toujours que dans une salle noire avec un écran blanc. Car à la question : « Tu vois quoi comme films aujourd’hui » succède à partir de 20h la ritournelle « Tu vas à quelle soirée, toi ? ». Apparences, strass et paillettes, il faut voir le défilé bigarré sur la Croisette entre pingouins sortants de la projection officielle du soir, touristes en goguette tentant d’apercevoir des stars, petits jeunes ultra-lookés et se ressemblant tous (des clones des participants à Secret Story) faisant la queue au fameux VIP Club et festivaliers reconnaissables non à leur tenue mais à leur accréditation (et autres nombreux badges) perpétuellement pendue à leur cou… Un constat imparable : pour rentrer dans ces fameuses soirées sur les différentes plages ou dans quelques rares villas (la crise est passée par là ), il faut soit être invité, soit être débrouillard soit être un tantinet culotté (mais si, untel m’a dit de passer mais je n’arrive pas à le joindre ! Ca marche pour l’avoir testé efficacement). J’ai donc pu croiser un Michel Gondry déchainé sur le dance-floor de la soirée d’inauguration de la Quinzaine des réalisateurs avec toute la jeune équipe de son dernier film, The We and the I, voir des showcases de Sébastien Tellier, The Ting Tings, Club Cheval, 2ManyDJs ou encore des Wampas lors d’un concert mémorable pour le Grand Soir où Kervern, Delépine, Poelvoorde, Dupontel et même Dujardin ont mis le feu sur scène, tous dans un état assez second (après avoir déjà mis le feu au photo call, Kervern s’invitant avec l’équipe de Killing Them Softly avec un Brad Pitt très pro mais totalement interloqué par cet hurluberlu barbu). De la plage du Majestic à celle privatisée par Chivas à deux pas du plateau du Grand Journal, la Croisette faisait le plein chaque soir jusqu’à 2 heures du matin environ, horaire du couvre-feu municipal…
Cannes, c’est aussi quelques séances mémorables. Et ce même si les festivaliers se font plus sages qu’il y a quelques années et que les scandales et autres polémiques (souvenez vous de Lars Von Trier l’an dernier exclu du Festival après ses dérapages en conférence de presse) ont presque complètement été absents de cette édition. On retiendra tout de même une séance presse agitée pour Post Tenebras Lux de Carlos Reygadas copieusement sifflé par des journalistes généralement très neutres ou une épique séance de minuit en compagnie de blogueurs gentiment éméchés qui squattent le tapis rouge. Assez drôle également de constater que des spectateurs ne savent vraiment pas ce qu’ils viennent voir avec leurs précieuses invitations. Pour Maniac, justement, des personnes peu averties de ce qu’ils allaient voir ont quitté la salle dès la première scène de scalp, la salle se vidant un peu plus à chaque scène un peu gore. Signalons aussi que la salle la plus récente du Festival, la salle du 60eme (6eme année d’utilisation donc) a souffert des intempéries au point qu’une partie du toit s’est effondré causant une journée de fermeture et des annulations de projections. Déjà que ce n’est pas facile de faire sa programmation à Cannes, je vous laisse imaginer le désordre quand il y a des annulations.
Enfin, Cannes, ce sont aussi des impasses obligatoires, des films que l’on aimerait voir et qu’on se promet de rattraper très vite. Cette année, je n’ai par exemple pas eu le temps de mettre les pieds à la Semaine de la Critique. J’ai aussi raté à Un certain regard le multi-primé Les bêtes du sud sauvage qui est reparti de Cannes avec la prestigieuse Caméra d’Or (qui récompense le meilleur premier film, toutes sélections confondues. Pour l’avoir vu à mon retour à Paris, je n’ai pu que constater que sa réputation flatteuse n’était pas usurpée !) ou des reprises de grands classiques souvent dans des versions restaurées ou inédites comme Il était une fois en Amérique avec l’équipe du film au grand complet.
Cannes, c’est un tourbillon de 10 jours, des souvenirs pour la vie, des films qui impriment la rétine, d’autres dont on se demande ce qu’ils font (c’est un grand jeu au Festival que de râler sur la sélection officielle quitte à la rehausser quelques mois plus tard), un palmarès toujours controversé (pourquoi et comment le jury a-t-il oublié le Carax, ce Holy Motors rugissant et complètement fou ?) et une frénésie qui quand elle s’arrête soudainement provoque en vous pour quelques temps un sentiment de vide, un blues étrange qui ne se guérit que d’une seule façon : en retournant très vite dans une salle de cinéma. Evidemment !
Emmanuel Pujol
*NDLR : Cet article a réellement commencé à être écrit le lundi 28 mai dans le train de retour de Cannes… Il aura juste fallu trois semaines pour trouver le temps de le terminer ^^
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