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En novembre, les documentaires envahissent les salles obscures

Le documentaire est un genre florissant au cinéma puisque, rien qu’en 2011, il en sera sorti environ 100 dans les salles françaises. Mais voilà un genre qui a bien du mal à attirer le public, évidemment par manque d’exposition (la plupart des films sont distribués sur un nombre extrêmement réduit de copies) mais peut être aussi par un certain manque de curiosité des spectateurs. Preuve en est que seuls trois documentaires – tous en 3D d’ailleurs – ont attiré cette année plus de 100.000 spectateurs dans les salles obscures: l’un projeté à la Géode (Océanosaures 3D, 190.000 entrées) et les deux autres ayant bénéficié d’une vraie campagne marketing grâce à la renommée de leurs réalisateurs respectifs: 316.000 entrées pour Wim Wenders grâce à Pina Bausch (la chorégraphe allemande a aussi attiré en 2010 plus de 200.000 spectateurs avec Les rêves dansants!) et 104.000 pour Werner Herzog avec La grotte des rêves perdus. Tous les autres, ou presque, n’ont eu droit qu’à des sorties confidentielles. Seuls Pollen (169 copies, 65.000 entrées) et Bonobos (292 copies, 76.000 entrées) ont eu une exposition intéressante mais ni l’un ni l’autre n’ont trouvé leur public (c’est un euphémisme…)

Mais pourquoi vous parler de documentaires maintenant? Pour la simple et bonne raison qu’en novembre, pas moins de 16 documentaires (et aucun animalier ou écologique!) ont été sortis par de courageux distributeurs – la seule solution pour avoir une chance de tous les voir étant d’ailleurs d’habiter Paris puisque, hormis Tous au Larzac (60 copies) et Jig (30 copies), les autres devront se contenter de 1 à 10 copies. Petit tour d’horizon de ces films (j’en ai vu 8) qui méritent souvent mieux que l’indifférence polie qu’ils suscitent le plus souvent:

. Commençons par le feel-good movie du lot, le très dansant Jig en salles mercredi prochain. Mais ca parle de quoi? De danse irlandaise! Dis comme ça, on pourrait craindre le pire mais Sue Bourne a un regard bienveillant et malicieux sur ces passionnés d’une discipline folklorique exigeante et physique aux costumes – perruques inclues – d’un kitsch consommé. La réalisatrice parvient même à insuffler du suspense grâce à un argument narratif imparable: la rivalité sportive. Et le plus amusant et déroutant, voire inquiétant, est de constater que la compétition la plus féroce se déroule chez de toutes jeunes filles pour qui la défaite semble être l’équivalent de la fin du monde… Passion, abnégation et volonté, le tout sans aucune motivation financière, ça force quand même le respect! Le film met le même sourire aux lèvres (avec peut être un peu moins de baume au coeur) que le tout aussi énergique I feel Good sur une chorale de retraités. Je l’avoue, Jig m’a filé la gigue!

. Changement de sujet radical – on ne rit plus du tout là – avec deux documentaires, très différents dans la forme, qui s’intéressent à la peine de mort aux Etats-Unis. Le premier, Honk, d’une sobriété totale, interviewe famille de victimes et de condamnés pour montrer toute l’absurdité de cette sanction. Ce n’est hélas pas toujours passionnant à cause d’une absence totale de mise en scène dans un dispositif finalement très télévisuel. Au contraire, Toute ma vie (en prison) est foisonnant, multiplie les informations à l’écran jusqu’à saturation (on se croit parfois devant MTV, c’est déconcertant). Le film est toute de même assez passionnant de bout en bout, parlant à la fois de la peine de mort mais aussi de la lutte contre la ségrégation raciale dans le Philadelphie des années 70 et 80 (à voir aussi ce mois-ci, sur un sujet assez proche, The Black Power Mixtape, bien reçu par la critique, qui retrace l’histoire du mouvement des Black Panthers) à travers le portrait de l’un des condamnés à mort les plus célèbres des Etats-Unis, Mumia Abu-Jamal. Le film, bien que réalisé par Marc Evans et produit par Colin Firth n’est visible qu’à l’Arlequin à Paris tous les soirs à 22h10 et au Comoedia à Lyon ce WE à 11h!

. Dans Khodorkovski, il est aussi question de prisonnier puisque l’allemand Cyril Tuschi dresse le portrait d’un condamné politique russe, le puissant oligarque Mikhail Khodorkovski, et fait en creux la photographie d’un pays gangrené par la corruption et où la liberté de la presse n’est qu’une chimère et l’antisémitisme une réalité. Il mène une enquête semée d’embuches (et de menaces) de Moscou à Londres, en passant par Berlin et la Sibérie et clôt son récit par une interview improbable dans la salle d’audience du tribunal avec le milliardaire lui-même.

. De lutte, on en parle aussi en France avec deux documentaires: Squat, la ville est à nous traite de la lutte pour le droit au logement tandis que Tous au Larzac évoque la lutte de paysans face à l’Etat français qui veut les exproprier de leurs terres. Dans le premier, Christophe Coello nous entraine dans les squats de Barcelone où de jeunes activistes, faisant parti du plus large mouvement des Indignés, réinvestissent des immeubles délabrés, laissés à l’abandon ou en voie de démolition et questionnent la question essentielle du logement. Souvent d’abord opposés à ces manifestations pourtant pacifiques, les habitants des quartiers concernés rallient souvent la cause des squatteurs qui organisent évènements festifs et débats démocratiques sur l’avenir de ces immeubles et plus globalement du pouvoir citoyen et populaire. Squat trace le portrait d’utopistes volontaristes qui croient en un lendemain différent – et le spectateur d’avoir envie de les suivre dans leur résistance pleine de vitalité et d’espoir. Dans le second, Christian Rouaud, qui s’était déjà penché sur l’histoire d’une grève ouvrière symbolique des évènements de 1968 dans Les Lip l’Imagination au pouvoir, s’intéresse cette fois dans un film didactique et exhaustif à l’histoire du fameux plateau du Larzac d’où est né un important mouvement altermondialiste dont l’un des portes paroles les plus célèbres n’est autre que José Bové. Et tout est parti d’une résistance de paysans à l’Etat qui souhaitait racheter des terres pour agrandir un terrain militaire. Mais les agriculteurs n’allaient pas l’entendre de cette oreille et opposer une farouche résistance pendant 10 ans (1971-1981) pour finalement obtenir gain de cause. Un brin long (2h) mais sachant alterner dans un montage dynamique images d’archives et interviews (sur fonds bucoliques changeants) des différents protagonistes, Tous au Larzac dévoile un pan d’histoire méconnue d’une lutte là aussi collective et citoyenne face à un Etat pas toujours tout-puissant.

. Christian Zerbib s’était déjà intéressé il y a deux ans au sort des sans-papiers (En terre étrangère: http://blog.fan-de-cinema.com/vu-pour-vous/en-terre-etrangere-un-reportage-engage-sur-les-sans-papiers-.html). Cette fois, dans Nos ancêtres les Gauloises, il a décidé de filmer un pari un peu fou, aussi ambitieux que citoyen: dix femmes d’origine étrangère allait raconter leurs histoires d’amour avec la France sur scène dans une pièce de théâtre écrites à partir de leurs témoignages. Humour et émotion sont au rendez-vous des ces portraits de femmes qui racontent sans fard ni fausse pudeur leurs parcours, leurs destins, leurs vies… On voit le spectacle se mettre en place petit à petit (les répétitions sont savoureux, certaines devant vaincre une grande timidité), les complicités se nouer entre ces femmes toutes différentes et pourtant toutes pleinement françaises. Ou quand la question de l’identité nationale est traitée avec justesse et intelligence.

. Enfin, comment ne pas parler de A la une du New York Times qui en plongeant dans les entrailles d’une institution de la presse américaine (le NY Times, fondé en 1851, a notamment remporté 106 fois le prestigieux prix Pulitzer) dresse surtout le portait d’une industrie en crise, la presse écrite, et d’un métier qui doit se réinventer, le journalisme. C’est évidemment passionnant pour quiconque s’intéresse de près ou de loin au quatrième pouvoir, à son avenir, à son obligation de repenser un modèle économique et une nouvelle façon de travailler (face à l’accélération phénoménale de transmission de l’information notamment) pour (sur)vivre et continuer sa mission d’information et de décryptage de l’actualité auprès d’une population gavée d’images et de brèves. Et les perspectives ne semblent pas forcément réjouissantes à la vue de ce documentaire car, au-delà du NY Times lui-même menacé et obligé de licencier, ce sont des dizaines de titres régionaux aux Etats-Unis (et ailleurs) qui ont du mettre la clé sous la porte… Que sera le journalisme d’avenir? La réponse en temps réel ici et ailleurs…

Sont aussi sortis ce mois-ci, mais que je n’ai pas vu, La pluie et le beau temps sur l’adaptation nécessaire des agriculteurs à la nouvelle économie (les cultivateurs de lin normand se sont tournés vers un nouveau et presque unique client : la Chine!), Zones d’ombre sur le fonctionnement de la justice française à travers le portait d’un président de cour d’assises, Beirut Kamikaze qui s’attache à l’errance d’un jeune libanais, Qu’ils reposent en révolte, sur les conditions de vie des personnes migrantes à Calais, Grandpuits & Petites Victoires raconte de l’intérieur la grève de la raffinerie de Grandpuits en Seine et Marne, La Vie Murmurée rend hommage à l’écrivain japonais Dazaï à travers certains de ses lecteurs fidèles et Territoire Perdu explore le Sahara occidental aujourd’hui découpé en deux parties, l’une occupée par le Maroc, l’autre sous contrôle du Front de Libération du Sahara occidental.

De quoi faire donc dans les salles obscures pour les amateurs de documentaires (et les curieux). Mais, petit conseil, ne trainez pas trop pour aller voir ces films qui ne resteront sans doute pas longtemps à l’affiche de vos cinémas!

Emmanuel Pujol

avatar A propos de l'auteur : Emmanuel Pujol (218 Posts)

Fou de cinéma et fou tout court, Emmanuel écrit pour Fan-de-cinema.com, se fait filmer dans Après la Séance et mange, dort, vit cinéma 24 heures/24! De films en festivals, il ne rate rien de l'actu ciné pour vous faire partager ses coups de coeur et ses coups de gueule...


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