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64eme festival de Cannes, des pépites dans la dernière ligne droite

Dur, très dur d’écrire ce dernier (très long) billet cannois depuis Paris. Heureusement,  la chaleur qui règne sur la capitale me rappelle la douceur du climat du Sud! Mais c’est un peu ma faute aussi, je n’ai jamais réussi à rattraper mon retard initial et je vous livre donc mes impressions du Festival avec deux jours de retard. J’avoue que ce n’est pas forcément plus mal de poser des mots sur des films avec quelques jours de recul pour mieux les digérer. Et puis, pour l’info chaude et live, il y a eu le Twitter de @fandecine qui a bien fonctionné pendant ces 10 jours fou de Festival!

This must be the placeMon vendredi commençait toutefois par un film qui m’a profondément déplu et même passablement énervé. Courageusement et de façon totalement improbable, j’arrivais à me lever une dernière fois assez tôt pour être à 8h30 à la projection de This Must Be The Place, le nouveau film de Paolo Sorrentino dont j’avais beaucoup aimé Il Divo, portrait baroque de Giulio Andreotti. Et la déception fut à la hauteur de l’attente. This must be the place suit Cheyenne (un Sean Penn cabotin à outrance, sans aucune nuance et qui se regarde jouer pendant tout le film), une rock star has been et dépressive qui va, pas hasard, à l’enterrement de son père, donner un sens nouveau à sa vie: partir à la recherche d’un des derniers nazis se cachant aux Etats-unis. Quête rédemptrice, road-movie au ton doux amer, Paolo Sorrentini accumule les clichés,  multiplie les personnages gentiment décalés et filme en permanence à la grue (comme s’il avait cherché sur presque chaque plan l’angle de vue le plus original où placer sa caméra… Un brin fatigant sur 2h de film). Plus encore que le côté totalement artificiel de cette chasse au Nazi par ce Cheyenne neurasthénique, le film distille surtout une morale plus que limite et paradoxale à la fin du film (humilier et pardonner?). Et que dire de la dernière phrase en voix-off absolument indéfendable et qui à elle seule aurait du empêcher le film d’être à Cannes! Scandaleux et ignominieux, je pèse mes mots. Un grand bravo – ironie, ironie – d’ailleurs au Jury oecuménique pour avoir remis son Prix à ce film, une vraie preuve de discernement de la part des membres de ce Jury catholique (qui bizarrement a fait preuve de beaucoup plus de clairvoyance en décernant deux Mentions Spéciales tout à fait méritées, elles, au Havre et à Et Maintenant on va où?). J’arrête là sur ce film car heureusement, le reste du programme allait réserver de bien meilleures surprises.

A commencer par un excellent thriller politique français, L’Exercice de l’Etat de Pierre Schoeller. Voilà un film intelligent, subtil, rythmé et réussi: dans les coulisses du pouvoir, le spectateur suit le parcours de Bernard Saint-Jean, jeune ministre des Transports ambitieux mais qui n’a pas encore perdu tous ses idéaux (Olivier Gourmet, parfait et très bien entouré, entre autres, par Michel Blanc et Zabou Breitman), un homme toujours entouré mais finalement profondément seul – la petite phrase du ministre « J’ai 4000 contacts mais aucun ami à qui parler » est révélatrice de cette solitude du pouvoir . Petites trahisons, compromissions, alliances et méfiance, les rouages de la politique politicienne font dangereusement grincer l’intérêt commun et l’action publique. Contrairement à la Conquête qui privilégiait trop l’imitation caricaturale, Pierre Schoeller s’est ici attaché à rendre ses personnages vraisemblables dans une trame narrative certes fictive mais tout à fait réaliste. Jamais ennuyeux ni simpliste (les dialogues sont brillants et soulignent l’importance de la maitrise du verbe dans la communication politique), toujours ambitieux, L’Exercice de l’Etat est une franche réussite. La presse internationale ne s’y est pas trompée en décernant à ce film enthousiasmant le prix Fipresci pour Un Certain Regard.

L'Exercice de l'EtatEt la journée continue sans pause avec The Murderer (dont le titre international est The Yellow Sea, ne cherchez pas, il n’y a rien à comprendre), aussi en compétition à Un Certain Regard et deuxième réalisation de Na Hong-Jin remarqué il y a deux ans pour The Chaser. Après une longue introduction des enjeux très calme – on suit Gu-nam, chauffeur de taxi endetté et sans nouvelles de sa femme partie chercher du travail en Corée, qui se voit proposer une grosse somme d’argent pour commettre un meurtre – le réalisateur passe la vitesse supérieure dans une 2eme partie ébouriffante de maitrise technique, de violence brute et de suspense haletant. D’une incroyable course-poursuite nocturne que n’aurait pas renié James Gray à un carnage sanglant, (vous saviez que l’on pouvait tuer quelqu’un à coup de pilons de poulet, vous?) Na Hong-Jin signe un film d’une beauté graphique impressionnante. Seul bémol, le film aurait peut être encore gagné en efficacité et en rythme en étant un peu plus resserré – il dure 2h20 et il semblerait que le réalisateur ait déjà accepté de faire beaucoup de coupes! On peut juste se demander si Le Pacte, qui distribue le film en France, a choisi une bonne date de sortie: en effet, The Murderer est programmé sur les écrans français le 20 juillet prochain soit deux semaines après la sortie d’un autre thriller coréen encore plus sombre et bourrin, J’ai rencontré le diable, récompensé à Gérardmer et au BIFFF.

Après une pause bien méritée au soleil sur les confortables canapés de la plage Orange à deux pas de Tahar Rahim, il me fallait repasser au studio car à 22h30, je montais les marches en smoking pour la 2eme fois pour le très attendu Drive du danois Nicolas Winding Refn. Et que dire si ce n’est que voila bien la petite bombe attendue, parfaite pour réveiller le Festival et lui donner un ultime frisson. Après avoir rendu hommage à Scorsese (Pusher), Kubrick (Bronson) et Herzog (Le guerrier silencieux), voilà que le petit génie venu du nord, à qui certains ont souvent fait le reproche d’être un poseur malin, s’attaque à une série B noire aux relents très Michael Mann. On n’ose à peine imaginer la bouse qu’aurait pu être Drive entre de mauvaises mains et avec, allez au pif un Nicolas Cage en acteur principal. Car ce n’est pas le scénario qui brille par son originalité ou son ambition mais bien la mise en image magistrale de Refn, la façon qu’il a de raconter cette histoire de violence exacerbée et d’amour idéalisé. On aurait parfois aimé encore plus de démesure (on fantasme une scène de stock-car qui n’arrivera jamais), plus de rebondissements mais Drive est un joyau mortifère minimaliste bercé par la meilleure bande-son de ce Festival et porté par un Ryan Gosling très low-fi secondé par deux trognes burinés (Brian Cranston de Breaking Bad et Ron Perlman) et l’innonence craquante de Carey Mulligan. Il me fallait digérer calmement cette journée riche de trois bons films et fuyant la fureur et le bruit des soirées, je me posais en amicale compagnie sur la plage publique (si, si, il y en a encore à Cannes pendant le Festival) pour me remettre de mes émotions – avec une petite coupe de champagne tout de même!

The MurdererLe lendemain, samedi, en ce dernier jour de Festival, les programmateurs semblent avoir totalement occulté l’état de fatigue avancé de tous les festivaliers. En effet, ils proposent un assez hallucinant triptyque pour achever définitivement les spectateurs du Théâtre Lumière: La source des Femmes, 2h12, Les Biens Aimés, 2h15 et Once Upon a Time in Anatolia, 2h30… Voilà voilà… Evitant volontairement le film de Radu Mihaileanu afin ne pas devoir en dire du mal à l’attachée de presse plus tard à la soirée du film à la Villa Chic (autant rester en bons termes, non? Je ne me suis encore fâché avec personne en 15 jours) et n’ayant absolument pas le courage d’affronter le Ceylan – parce que vraiment c’est lent (désolé!), je me contentais de la nouvelle comédie musicale de Christophe Honoré. Sur plus de 40 ans, le réalisateur s’attache aux pas  et au destin de Madeleine (Ludivine Sagnier puis Catherine Deneuve), jeune vendeuse de chaussures qui va tomber amoureux de Jaromil, un médecin tchèque avec qui elle va avoir une fille (Chiara Mastroianni, la fille de… Deneuve!). C’est toujours agréable de suivre toute une vie d’un personnage au cinéma, le voir vieillir, murir (ou pas d’ailleurs), faire le bilan d’une existence faite de joies et de peines ordinaires. Malheureusement, cela n’empêche pas de souvent trouver le temps long dans ce décalque des Chansons d’amour à la fois plus léger (car le thème y est moins grave) et plus ambitieux (à cause entres autres des reconstitutions historiques et de la construction narrative). Si le film commence très bien, à la sauce Jacques Demy (c’est amusant de discerner en arrière plan clignoter une enseigne moderne de kebab au milieu d’un décor fidèle au Paris des années 60, un petit détail qui a échappé au réalisateur!), la suite, avec l’histoire en parallèle de la mère vieillissante et de la fille devenue adulte,  tombe rapidement dans le maniérisme bobo- pauvres petites filles riches – assez épuisant chez Honoré. Et ce d’autant plus qu’il n’y a presque plus aucune chanson qui vient rythmer le récit. A ne vouloir faire du Demy qu’à moitié, Honoré signe surtout un film trop long, certes émaillé de quelques beaux moments de grâce malheureusement trop rares.

C’en était fini pour moi des projections au Palais puisque j’abandonnais définitivement l’idée de tenter la montée des marches de 19h pour La source des femmes et je me dirigeais vers la section que j’avais le plus délaissé pendant ce Festival, la Quinzaine des Réalisateurs où je n’avais pas remis les pieds depuis le film d’ouverture génialement belge, La fée! A 17h, et selon le programme, c’est un autre film belge que je pensais découvrir, Les Géants de Bouli Lanners. Mais comme le film avait gagné deux prix, et plutôt que de le projeter deux fois de suite, les organisateurs avaient décidé de remontrer le film qui avait reçu une mention spéciale Coup de Coeur, le suédois Play. N’étant probablement pas dans les meilleures dispositions d’esprit, j’ai détesté ce film qui suit de jeunes immigrés martyrisés de jeunes suédois bien blonds (je n’ai toujours pas compris ce que le film chercher à démontrer ou à dénoncer en réalité!), probablement l’un des moins bons que j’ai vu pendant ce Festival (et j’en ai vu 32!) à la mise en scène assez toc – le choix du réalisateur est de privilégier les plans fixes et donc de laisser beaucoup de choses en hors-champ. Pourquoi pas me direz vous mais là c’est tellement systématique que cela en devient un dispositif ennuyeux.

DrivePassons pour nous concentrer sur le dernier film de mon 2nd Festival de Cannes. Et c’est peu de dire que je suis heureux d’avoir fini sur ces Géants de l’immense Bouli Lanners. Cette fable naturaliste raconte l’histoire de trois gamins marginaux dans la campagne wallonne, livrés à eux-mêmes, vivant de petites combines qui vont se retourner tragiquement contre eux. Alors que le film aurait pu être misérabiliste et déprimant, il est au contraire éclairé d’une lumière d’optimisme malgré sa grande cruauté, c’est drôle, pudique et profondément touchant. Finir le Festival sur cette bouffée d’humanité sincère, je pouvais difficilement faire mieux.

Bien sur, il y aura une dernière soirée à la Villa Chic, une nuit blanche de peur de rater mon train très matinal et un retour à Paris déboussolé et désorienté mais, surtout, il restera de ce 64eme Festival de Cannes, une myriade de souvenirs, de rencontres, de films dans un tourbillon incessant de vie oscillant entre le sérieux et le frivole, le professionnel et la fête. Cannes, c’est une dizaine de jours de démesure, c’est le cinéma permanent dans les salles et sur la Croisette, c’est une expérience assez unique à vivre et que j’espère vous faire à nouveau partager l’an prochain!

En début de semaine, vous retrouverez le palmarès complet et un bilan de ce Festival de Cannes. Je vous donne rendez-vous très vite pour de nouvelles aventures festivalières, surement à Paris Cinéma en juillet. D’ici là, n’oubliez pas: ALLEZ AU CINEMA!

Emmanuel Pujol

avatar A propos de l'auteur : Emmanuel Pujol (218 Posts)

Fou de cinéma et fou tout court, Emmanuel écrit pour Fan-de-cinema.com, se fait filmer dans Après la Séance et mange, dort, vit cinéma 24 heures/24! De films en festivals, il ne rate rien de l'actu ciné pour vous faire partager ses coups de coeur et ses coups de gueule...


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