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Rencontre avec le gentil panda David Michôd, réalisateur d’Animal Kingdom

David Michod
Animal Kingdom plonge au cœur d’une famille de gangsters à Melbourne à travers les yeux de Joshua, grand adolescent un peu pataud qui vient de perdre sa mère et qui, en emménageant chez sa grand-mère, va découvrir un monde de violence et de corruption. Très classique sur le forme (caméra au plus près des personnages, images presque documentaires, photographie volontairement assez terne loin d’une Australie ensoleillée) et sur le fond (l’histoire est à la fois un drame shakespearien et un roman d’apprentissage et d’initiation), Animal Kingdom est un polar noir assez prenant même s’il souffre de quelques longueurs. David Michôd, dont c’est le premier long, a écrit un scénario très dense. En voulant trop en dire, le film de plus de 2 heures s’égare parfois dans une profusion de détails et de sous-intrigues qui cassent un peu le rythme nerveux du polar. Mais Animal Kingdom se tient grâce à la qualité de son interprétation (Joel Edgerton, Guy Pearce et l’incroyable Jackie Weaver en mère prête à tout pour conserver l’unité de sa famille).
Affable, souriant et mal rasé, David Michôd nous attend dans un salon des locaux du distributeur du film, ARP, à deux pas de l’Élysée et des Champs Elysées… Apparemment fatigué de son passage au Festival du Film Policier de Beaune où son film a remporté le Prix de la Critique, il revient pour Fan-de-cinéma sur la genèse de son film, ses inspirations et son côté animal!
Fan-de-cinéma: Animal Kingdom est votre premier long-métrage. Comment l’idée vous est venu – il paraît que vous avez mis 10 ans à écrire le scénario?
David Michôd: J’ai commencé par lire beaucoup de livres sur la criminalité à Melbourne. J’ai notamment beaucoup aimé les livres de Tom Noble, un ancien journaliste spécialisé dans les affaires criminelles du principal quotidien de Melbourne et qui nous a d’ailleurs aidé comme consultant pendant le tournage. Ses livres s’intéressent surtout à la guerre entre les forces de police et les gangs de braqueurs dans les années 80. Mais, dès que j’ai su que je voulais faire un film policier, je tenais aussi à ce que les personnages m’appartiennent. Je ne voulais pas raconter une histoire vraie. Donc j’ai essayé de bâtir un scénario autour de deux-trois éléments phares de cette période. Quand j’ai commencé à écrire, j’étais jeune, je sortais tout juste de mon école de cinéma. Et comme je tenais à ce que l’histoire soit consistant, riche, détaillé, cela a pris du temps pour que mon écriture se mette en place, gagne en maturité jusqu’au point où enfin j’ai senti que je tenais le scénario que je souhaitais véritablement.
F-d-c: Il y a aussi dans votre film la sensation de montrer une autre facette de l’Australie, bien plus sombre que l’image de cartes postales que l’on peut en avoir…
DM: Melbourne est une ville étrange, elle ne reflète effectivement probablement pas la vision habituelle que l’on peut avoir de l’Australie. J’ai grandi à Sydney et je ne savais presque rien de Melbourne à part ce que je pouvais en lire dans les journaux ou voir à la télé. Contrairement à Sydney qui est ensoleillée et un peu paradisiaque avec ses plages et ses bikinis (sic!), l’image que j’avais de Melbourne était celle d’une ville gothique et dangereuse – surtout dans les années 80 quand j’étais un enfant. Il y avait beaucoup de fusillades, de descentes de police violentes, de règlements de compte. Et quand j’y suis allé, j’ai pu constater que la ville était effectivement assez gothique, ressemblant un peu à Los Angeles d’ailleurs avec des banlieues s’étendant à perte de vue. J’ai essayé de rendre cette atmosphère dans le film, je voulais montrer cette espèce de sublime laideur qui n’appartient qu’à Melbourne.
F-d-c: Vous décrivez la fin d’une époque où les gangsters semblaient encore avoir un code d’honneur!
DM: Tout à fait même si je ne voulais pas situer précisément le film dans les années 80 pour ne pas devoir faire attention à tous les détails inhérents à une reconstitution. Je ne tenais pas non plus à ce que les spectateurs s’arrêtent au fait que ça soit un film qui se déroule à une époque précise. Mais c’est vrai que c’est dans ces années-là que la nature même du crime en Australie – et ailleurs dans le monde également – a commencé à changer. Avec les évolutions technologiques et sécuritaires, avec les avancées de la dématérialisation, le vol à main armée n’était plus une activité assez lucrative. D’autres formes de criminalité ont donc pris le dessus: trafic de drogues, d’armes, fraudes… Et ça a effectivement marqué la fin d’une ère, celle un peu old-school des bandits qui fait partie intégrante de l’histoire de l’Australie et qui remonte jusqu’aux bushrangers qui braquaient les diligences! Et ces hors-la-loi avaient un certain sens de l’honneur qui semble avoir disparu lui aussi aujourd’hui…
F-d-c: Animal Kingdom n’est pas qu’un film de gangster. C’est aussi l’histoire d’une famille, presque d’une meute de loups. Le casting était donc très important et notamment celui de Joshua Cody, le personnage principal joué par James Frecheville pour qui c’était la première expérience au cinéma…
DM: Pour le rôle joué par James, nous avons vu environ 500 jeunes acteurs. Je savais que cela ne serait pas évident de trouver le bon Joshua. Mais je savais qu’on finirait par y arriver si on cherchait suffisamment. Je trouve que James est un acteur naturellement doué, très attaché au sens du détail. Son apparence physique m’a aussi interpellé: pour Joshua, j’avais d’abord imaginé un garçon plus petit, plus fluet mais quand j’ai imaginé ce que pourrait donner James – qui mesure 1m85 et qui pèse son poids – dans le rôle, j’ai trouvé que Joshua serait plus sympathique avec cette carrure là . Il a un mélange de douceur et de force brute. Et à cause de son physique, ses oncles ont tendance à le traiter comme un adulte mais en réalité il a l’émotivité, la vulnérabilité, la fragilité d’un adolescent pas très sur de lui…
F-d-c: Ce rapport qu’il a avec ses oncles est assez intéressant… Et ce que vous dites sur l’inné et l’acquis en filigrane!
DM: Jusqu’à un certain point, le fait que votre environnement influe sur votre personnalité est vrai chez chacun d’entre nous. Vous développez votre vision du monde, un code moral presque uniquement en observant ce qui se passe autour de vous. Et quand ce qui se passe autour de vous est irrémédiablement corrompu et toxique, c’est difficile de ne pas devenir un reflet de cet environnement. Mais, cela étant dit, Joshua a tout de même différents exemples du bien et du mal. Par exemple, le flic joué par Guy Pearce, est intrinsèquement un homme bien mais son boulot l’oblige à être manipulateur. Il y a aussi le personnage de Joel Edgerton qui est un criminel endurci mais qui est aussi un bon mari et un bon père. Mais c’est vrai que le monde dans lequel évolue Joshua est assez laid.
F-d-c: Et à la tête de cette famille se dresse Janine Cody (extraordinaire Jacki Weaver), une figure féminine à la poigne de fer, prête à tout pour défendre son clan…
DM: J’aimais l’idée de mettre une femme au centre du film. A Melbourne, il existe cette tradition de matriarcat même si ses mères ne sont pas des parrains qui gèrent les affaires mafieuses de la famille… Je trouve ces femmes fascinantes. Je me suis demandé comment elles se situaient dans leur famille. Quand j’ai commencé à écrire, j’ai donc vraiment voulu explorer cet aspect là . Janine est comme une colle extra-forte qui resserre les liens familiaux, qui s’assure de l’unité du clan. Si elle n’était pas là , ses fils ne traineraient certainement pas ensemble aussi souvent.
F-d-c: A propos de famille, le cinéma australien semble aussi être une petite famille – notamment la jeune génération. Est ce que cela a été compliqué de financer Animal Kingdom?
DM: C’est effectivement une famille, j’ai d’ailleurs diné avec Nash Edgerton (NDLR: réalisateur de The Square que j’avais interviewé il y a deux ans) hier soir d’ailleurs, il est à Paris depuis quelques mois. Nous avons d’ailleurs un peu le même parcours: nous avons fait chacun des courts-métrages qui ont été repérés dans différents festivals internationaux. Et cela nous a sans aucun doute facilité la tâche pour passer au long-métrage.
Et sinon, oui, bien sur, c’est difficile mais je ne pense pas que cela soit plus difficile que n’importe où ailleurs. L’Australie produit entre 30 et 50 films par an, ce qui est raisonnable par rapport à notre population. Le pays est certes immense, gigantesque mais il n’est pas très peuplé, nous ne sommes que 22 millions! Mais effectivement, cela m’a pris pas mal de temps pour pouvoir rassembler les fonds pour produire Animal Kingdom. Mais sincèrement, je ne m’en suis jamais plaint, c’est la règle du jeu. Les films coûtent cher et les producteurs ne peuvent pas faire n’importe quoi! J’en suis même reconnaissant car si j’avais fait Animal Kingdom il y a 6 ans, le film aurait été bien différent et surtout le scénario n’aurait pas été prêt et même moi je n’aurais pas été prêt!
F-d-c: Quelles ont été vos inspirations pour Animal Kingdom? Je suppose que beaucoup de personnes vous ont parlé de James Gray…
DM: En réalité – et c’est amusant – il n’y a qu’en France où on a m’a parlé de James Gray. Mais pour le coup c’est systématique ici! Même si je connais et si j’apprécie James Gray, je ne crois pas avoir eu en tête le moindre réalisateur en tête au moment de faire le film. Ça me semblait d’ailleurs important de faire d’Animal Kingdom un film original qui ne ressemblerait pas à d’autres films policiers en particulier – d’autant plus que dans le genre tant de chefs d’œuvres ont déjà été réalisés. J’étais presque inquiet à l’idée qu’Animal Kingdom puisse ressembler à d’autres films déjà faits, à ce qu’il soit référencé. J’ai donc essayé de me concentrer sur ce qui rendait Animal Kingdom différent.
F-d-c: Et vous, au royaume des animaux, quel animal seriez-vous?
DM: C’est vraiment drôle parce que voilà encore une question qu’on ne m’a posé qu’en France! C’est étrange car vraiment la question semble tellement évidente que je pensais devoir y répondre beaucoup plus souvent… Mais non, seulement en France! Alors, voyons voir (il réfléchit longuement, précisant qu’il essaye de changer d’animal à chaque interview!) Hum… Ça y est! Je suis un panda car je suis mignon et attachant mais aussi totalement inoffensif, lent et paresseux (Rires)
Propos recueillis par Emmanuel Pujol
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