Articles Commentaires

Cine Blog » Interview » Rencontre avec Fred Cavayé, un réalisateur à bout portant

Rencontre avec Fred Cavayé, un réalisateur à bout portant

Fred Cayavé

Fred Cayavé

Installé confortablement dans une chambre de l’hôtel de Sers, Fred Cavayé commande un Coca Light (sans citron!) et une salade de fruits – à laquelle il ne touchera pas pendant l’interview, se consacrant pleinement au jeu des questions/réponses. Juste le temps de se demander qui a son iPhone qui sonne – Fred sachant par avance que ce n’est pas lui parce qu’il n’a « pas d’amis »! -, et l’interview peut démarrer…

Fan-de-cinema: Première question, d’où vous vient votre envie de cinéma, vous qui signez votre deuxième long-métrage?

Fred Cavayé: Je crois qu’elle vient d’un plaisir de spectateur que j’ai eu depuis l’enfance. Je me souviens des westerns que j’allais voir avec mon père au cinéma. Après, je viens d’un milieu qui est très éloigné du monde du 7eme art. Si à 20 ans, j’avais dit à ma mère: « Maman, je vais être réalisateur, elle me prend pour un fou ». C’est un peu comme si je lui avais dit « je veux être cosmonaute ». Je viens de Bretagne d’un milieu plutôt simple, ma mère était secrétaire. Il n’y a pas d’artistes dans ma famille. Je n’ai rencontré des gens qui évoluaient dans cet univers du cinéma qu’à l’âge de 25 ans. Rien ne me prédestinait à cela.

F-d-c: C’est par votre métier de photographe que vous en êtes arrivé à devenir réalisateur?

FC:En fait, j’ai mis du temps à me trouver… J’ai pas été beaucoup à l’école, après j’ai un peu glandé et ensuite j’ai découvert la photo. Il fallait que je me trouve une passion et j’ai eu la chance de me faire embaucher dans le service audiovisuel d’une école où on m’a dit « Tiens, tu vas t’occuper de la photo ». Ça a été une vraie révélation, ça m’a passionné. Parallèlement, je me suis mis à écrire des petites histoires. Pourquoi? Je n’en sais rien, il y a quelque chose d’un peu magique là-dedans. Un jour, c’était un dimanche, j’ai écrit une histoire et j’ai découvert ce plaisir immense qu’est le plaisir de l’écriture. Je me souviens, j’ai commencé à écrire, il était 14h30, j’ai relevé la tête, il était 18h. C’était un mélange d’adrénaline et d’oubli de soi. Je me suis aussi occupé d’un café-théâtre, j’ai pu rencontrer des comédiens et des gens qui faisaient des courts-métrages. Je me suis rendu compte que ce que j’avais envie de faire, c’était vraiment de raconter des histoires et de faire du cinéma mais je trouvais ça toujours un peu prétentieux d’avoir ces velléités-là. Donc j’ai commencé à réaliser des petites vidéos avec les meubles de ma grand-mère chez moi… Et de fil en aiguille, ça devient réel parce qu’à force de rencontrer des gens qui font des courts-métrages, je me suis rendu compte que j’étais comme eux. Et au bout d’un moment, je me suis dit que j’avais vraiment cette envie-là ancrée en moi, j’y suis allé à fond et c’est devenu ma vie.

F-d-c: Et la première fois qu’on se retrouve sur le plateau d’un long?

FC: Et bien c’est 10 ans après. Pendant une décennie, je réalise des courts en essayant de payer mon loyer comme je peux. L’important, c’était vraiment de beaucoup beaucoup travailler pour qu’un jour, quelqu’un me fasse confiance. Et puis, ce jour arrive, vous vous retrouvez avec la bonne histoire au bon moment et avec les bonnes personnes (le bon producteur, les bons comédiens,…). Et là, tout va très vite. J’ai eu beaucoup de chance: entre le début de l’écriture du scénario de Pour Elle avec Guillaume Lemans et le début du tournage, il ne se passe qu’une seule année. C’est exceptionnel comme rapidité.

F-d-c: Et il y a la même rapidité entre le premier et le second puisque A bout portant sort seulement deux ans après Pour Elle

FC: Je crois que c’est la somme de tous les refus, tous ces petits « non » que j’ai eu pendant 10 ans qui, un jour, me donnent un gros « oui ». Ce que j’ai pris pour des échecs pendant 10 ans, en fin de compte, n’étaient que des passages obligés. Je pense que je ne fais pas le même film sans ces expériences douloureuses. J’ai beaucoup entendu dire que Pour Elle ne ressemble pas à un premier long-métrage. Et bien c’est peut être parce que ce premier film j’ai du attendre longtemps avant de pouvoir le concrétiser et que pendant ce temps, j’ai pu apprendre et gagner en expérience.

F-d-c: Dans ces conditions, comment on aborde l’épreuve du 2eme film? Est-ce qu’il y a une pression supplémentaire après le succès public et critique de Pour Elle?

FC: Je dirais que je ne me suis pas laissé le temps d’avoir cette pression-là. J’ai été vite entre les deux. Je ne me suis jamais posé: j’ai commencé l’écriture d’A bout portant avant la sortie de Pour Elle! Pour être totalement précis, on a commencé à écrire avec Guillaume pendant que je montais Pour Elle… Je me suis juste dit: « Attention, c’est ton 2eme film, il faut que tu doutes plus qu’avant le premier ». Il ne fallait pas que je me monte la tête avec le succès (et encore, un succès relatif) et la bonne presse de Pour Elle. Je ne voulais pas tomber dans le confort, dans la certitude de savoir faire. Donc je me suis remis dans les mêmes dispositions d’esprit qu’avant Pour Elle avec l’ambition de bosser même deux fois plus. L’avantage, c’est que je n’ai même pas eu le temps d’avoir peur. C’est allé tellement vite que c’était un peu comme un saut en parachute, il a fallu y aller.

F-d-c: Est-ce que cette proximité entre vos deux films peut expliquer le point commun majeur entre les deux histoires, à savoir que l’amour est la motivation principale des deux héros?

FC: Il y a plusieurs raisons à cela. Tout d’abord, A bout portant est la suite logique de Pour Elle. La vraie filiation entre les deux, c’est le fait qu’on plonge un homme ordinaire dans des situations extraordinaires. Et le point de départ, c’est quelqu’un à qui l’on enlève ce qu’il a de plus cher au monde et il va devoir se battre pour le sauver. En plus, dans A bout portant, Nadia est enceinte donc Samuel doit sauver deux personnes! Mais j’ai rien inventé: c’est le chevalier qui doit aller délivrer la princesse enfermée dans le donjon. J’assume totalement ce point commun-là entre les deux films. Je pense que pour faire courir très vite un monsieur tout le monde, il faut qu’on lui prenne ce à quoi il tient le plus et souvent, c’est la femme qu’on aime.

F-d-c: C’est d’ailleurs un des plus grands enjeux d’A bout portant: rendre le couple Samuel-Nadia crédible en très peu de temps (NDLR: Le film ne dure qu’1h25 et ne s’embarrasse presque d’aucune scène d’exposition).

FC: C’est simple: on trouve déjà deux très bons comédiens qui sont capables d’incarner et de faire passer des sentiments en très peu de temps et même sans dialogues. Ensuite, on fait confiance au public. C’est même un avantage de ne pas en montrer beaucoup parce qu’en tant que spectateur, on va pouvoir mettre des choses très personnelles là-dedans. Et ça m’aide en tant que réalisateur à faire passer des émotions parce que chacun va pouvoir s’approprier le film en fonction de ce qu’il y a mis de personnel. Par exemple, sur Pour Elle, je traite du rapport au père en présentant un père et un fils qui ne se parlent plus mais sans jamais dire pourquoi ils ne se parlent plus. C’est d’ailleurs le vrai avantage de la littérature par rapport au cinéma, c’est que chaque lecteur va se faire son propre film. Moi, j’essaie justement de ne pas trop en donner au spectateur pour le laisser combler certains vides, remplir certaines cases.

F-d-c: Revenons un peu sur le casting de ce couple. Je crois que vous aviez d’abord pensé à Roschdy Zem pour le rôle de Samuel. Et pour Nadia, est-ce que c’était une volonté dès le départ de prendre une actrice étrangère (NDLR: Elena Anaya qui joue Nadia est espagnole)?

FC: Pour Nadia, oui, c’était forcément Elena Anaya. D’entrée, quand j’ai pensé au personnage féminin, je me souvenais d’Elena dans Mesrine et je me suis dit que c’était la bonne comédienne pour le film. Et je me suis battu pour l’imposer. Je trouve que pour incarner la sensualité, avoir une actrice avec un accent étranger, c’est éminemment efficace et ça a aussi un côté mystérieux. Et c’est vraiment une immense comédienne. Avec Gilles Lellouche, j’étais certain que ça ferait à la fois un vrai couple de cinéma et en même temps un peu monsieur et madame tout-le-monde. Et Elena, elle a ça: vous la voyez, vous n’avez pas envie qu’on lui fasse du mal et si vous vous projetez dans le personnage de Gilles, ça devient votre femme et vous n’avez aucune envie qu’on vous l’enlève. Pour le rôle de Samuel, c’est vrai que j’avais pensé à Roschdy Zem au départ. Mais au fur et à mesure de l’écriture, je me suis rendu compte que Roschdy serait beaucoup mieux en gangster, froid et mutique. Et forcément, il fallait que je trouve un autre Samuel. Sur Pour Elle, je m’étais posé la question de savoir si le personnage avait 35 ou 45 ans. Si j’avais opté pour un homme de 35 ans, je pense que mon choix se serait déjà porté sur Gilles Lellouche après l’avoir vu dans Ne le dis à Personne. Il a un petit côté héros populaire.

F-d-c: Attardons-nous encore un peu sur le casting, celui des seconds-rôles, en particulier le rôle attribué à Gérard Lanvin…

FC: Je crois que j’ai un atout dans ma manche en allant voir Gérard Lanvin, celui de lui proposer un personnage qu’il n’a encore jamais joué… Et effectivement ça l’a particulièrement intéressé. En plus, Gérard Lanvin fonctionne beaucoup au feeling et au rapport humain. Il avait très envie de jouer avec Gilles et Roschdy, je pense qu’il voit en eux une filiation, des comédiens de la même famille, des bonshommes qui se laissent pas facilement impressionner, physiques… Et évidemment, ça a été un plaisir pour moi de diriger Gérard, même dans un petit rôle!

F-d-c: Il y a aussi un étonnant duo de femmes-flics, Claire Perrot et Mireille Perrier qui entretiennent des rapports ambigus…

FC: Le choix des deux comédiennes étaient très importants puisque, justement, je ne voulais pas expliciter ce rapport entre elles, je ne voulais pas monter le passif qui existait entre elles. Il devait être sous-entendu mais évident en les voyant. Comme j’avais déjà choisi Mireille, il me fallait son pendant et donc j’ai fait en sorte de prendre une actrice plus jeune mais qui lui ressemble physiquement. Il y a une vraie ambivalence entre elles. Je suis aussi obligé de trouver des astuces comme ça pour faire un film de 1h25, un film qui puisse aller vite sans perdre de temps dans de longues explications.

F-d-c: Justement, cette durée très ramassée permet de se focaliser sur l’action. Il y a un vrai sens du rythme qui permet de passer outre certaines incohérences ou invraisemblances et de ne se concentrer que sur la quête du héros. Est-ce que c’est la notion d’efficacité qui vous a guidé?

FC: Déjà, je crois qu’il faut être décomplexé vis-à-vis de cette notion que vous venez d’évoquer: l’efficacité. En France, j’ai l’impression que c’est presque un gros mot et que je dois me justifier, presque m’excuser, sur ce sujet comme quand je dis que j’ai l’ambition de faire du cinéma « populaire ». Je n’ai pas peur de l’efficacité au cinéma, de faire confiance au spectateur et me dire qu’on peut faire des films qui vont vite. Après, si on décortique le film, bien sur qu’il y a plein de choses qui flirtent avec la réalité et la vraisemblance. Et parfois, le spectateur est juste content que le héros arrive aussi à se sortir de situations inextricables.

F-d-c: Sur 1h25 de film, il doit y avoir 1h10 d’action. Quelle a été la scène la plus compliquée à tourner? Est-ce qu’on prend beaucoup de plaisir sur un tel tournage?

FC: Ah oui, on s’amuse. C’est certes éprouvant physiquement pour tout le monde, pour les comédiens, pour l’équipe, pour moi parce qu’on joue contre la montre en permanence comme le héros du film. On a eu 50 jours de tournage, ça peut paraître beaucoup mais, par exemple, pour la scène de métro, j’ai eu une semaine mais seulement 4 heures par jour de 1h à 5h du matin pendant les horaires de fermeture! Cette urgence a aussi contribué à donner son énergie au film. C’est donc difficile à faire mais c’est jubilatoire. Et en plus, ça s’est vraiment fait dans la bonne humeur parce que tout le monde a très envie de faire le film. Donc on s’est bien marré, mais vite parce qu’on n’avait pas le temps, on était tout le temps tous au taquet! En plus, on fait un type de film qu’on ne fait plus beaucoup dans le cinéma français, que moi je voyais au cinéma quand j’étais petit. En voyant Gilles dans la scène du métro, moi je pense à Peur sur la Ville et à Belmondo.

F-d-c: On sent d’ailleurs dans le film une double influence: celle dont vous venez de parler mais aussi une plus américaine de vieux polars. Est ce que le titre du film est un clin d’œil à ce genre de films (NDLR: A bout portant est le titre français d’un film de Don Siegel de 1964)?

FC: Je dois vous avouer que je n’ai pas vu le film de Don Siegel. Mais oui, le film est un patchwork d’hommage. L’influence, elle vient autant des films de Corneau, de Verneuil ou de Granier-Deferre en France que des héros américains type Jason Bourne ou le Fugitif. Tous les films de genre, à suspense ou policier, m’ont inconsciemment influencé. Je suis plus spectateur que cinéphile. J’ai vu beaucoup de films, plus à la télé qu’au cinéma d’ailleurs. Je suis plus de la génération du vidéo-club que de la cinémathèque. Je sais que j’ai de grosses lacunes en culture cinématographique, notamment les films noirs des années 50. A la fois, je suis très curieux de découvrir et en même temps ça m’effraie, il faudrait que je m’arrête 5 ans pour combler ces lacunes. Mais dans un sens, je pense qu’un réalisateur doit avoir vu beaucoup de films avant mais pas forcément pendant sa carrière: en fait, j’ai sans doute beaucoup emmagasiné de choses et après, je les refais à ma sauce… On se nourrit, on s’approprie de ces références multiples. Et ce qui est amusant, c’est que quand je présente le film en avant-première, beaucoup de gens me font remarquer des influences dont je n’avais même pas eu conscience en tournant tellement je les avais intégrées et digérées. Une anecdote amusante, c’est qu’un spectateur m’a fait remarquer qu’on a tourné dans le même escalator du métro que celui de Peur sur la ville (NDLR: Peut-être que la RATP loue toujours la même station aux équipes de film!)

F-d-c: A une semaine d’intervalle sortent A bout portant et Les trois prochains jours, le remake américain de Pour Elle. Est-ce vous l’avez vu?

FC: Non et j’avoue que j’appréhende un peu parce que je ne vais pas être le meilleur spectateur. Je connais tellement bien ce film, il est encore très frais dans ma mémoire – je l’ai fini il y a deux ans -, je me demande ce que va donner. J’appréhende mais de manière ludique. En tout cas, c’est assez flatteur que ça soit Paul Haggis qui le réalise parce que j’ai beaucoup aimé Collision. Et, étant donné que mes références sont quand même très anglo-saxonnes, c’est une fierté de voir que Pour Elle a intéressé les américains au point qu’ils en fassent un remake. La boucle est bouclée.

F-d-c: La côte des réalisateurs français à Hollywood étant plutôt bonne en ce moment, est-ce qu’on vous avait proposé de tourner vous-même le remake de Pour Elle?

FC: En fait, Paul Haggis s’est positionné très rapidement sur le projet et donc une fois qu’un réalisateur oscarisé était pressenti, vous ne pouvez plus vraiment lutter! Pour A bout portant, il y a déjà des propositions de remake et certains me proposent de le faire. Je viens de le finir donc j’ai pas spécialement envie de recommencer tout de suite. Mais j’avoue que ce qui pourrait être tentant, c’est un casting quatre-étoiles avec Léonardo Di Caprio, Benicio Del Toro,…

F-d-c: Et donc dans un futur plus proche, quels sont vos projets?

FC: J’aimerais faire un thriller non policier qui se rapprocherait un peu des Diaboliques ou des Yeux sans visage. J’ai un scénario qui me tient vraiment à cœur, ça se passe au Canada dans une forêt avec des bucherons. Ça pourrait flirter avec le fantastique ou le surnaturel: quelque chose tue. Qui, quoi, comment, on ne sait pas, on ne saura qu’à la fin, les mecs se font tuer les uns après les autres et ont intérêt à courir vite pour sauver leur peau…

F-d-c: Alors rendez-vous dans deux ans pour en parler!

FC:Avec grand plaisir!!!

                                                                                                                                                                           Propos recueillis par Emmanuel Pujol

avatar A propos de l'auteur : Emmanuel Pujol (218 Posts)

Fou de cinéma et fou tout court, Emmanuel écrit pour Fan-de-cinema.com, se fait filmer dans Après la Séance et mange, dort, vit cinéma 24 heures/24! De films en festivals, il ne rate rien de l'actu ciné pour vous faire partager ses coups de coeur et ses coups de gueule...


Classé dans : Interview · Mots-Clés:

Contenus sponsorisés
loading...

Commentaires Clos.